jeudi 12 septembre 2013

Enseigner l'informatique


Il y a quelque jours, un ami m'a passé un lien vers cet article : https://www.usenix.org/blog/my-daughters-high-school-programming-teacher
Après avoir réfléchi un peu, j'ai décidé de le traduire, parce que ce genre de comportement n'arrive pas qu'aux États-Unis.

Au professeur d'informatique du lycée de ma fille

par Rikki Endsley

Mise à jour 2 (où ma fille intervient) : Comme je l'ai dit, ma fille est en Inde pour un an, elle n'avait donc pas vu cet article jusqu'au mercredi 11 septembre. Je n'étais pas certaine de sa réaction sur la publicité faite à son histoire et l'attention que cela a attiré. Heureusement, ma fille m'a remercié d'avoir mis par écrit son expérience. Je lui ai demandé si elle avait des corrections a apporter à cet article. « Mmm, peut-être dire que j'ai effectivement parlé au professeur et que j'ai essayé de dire aux mecs d'arrêter de se conduire comme des crétins », a-t-elle dit. « Il l'a dit au principal, et c'était vraiment embarrassant, c'est probablement pour cela que je ne t'en ai pas parlé. et j'ai abandonné après ça », m'a-t-elle expliqué. Ma fille m'a dit qu'après avoir signalé le problème à l'attention du professeur à de nombreuses reprises, elle lui avait finalement demandé si elle pouvait parler à toute la classe de harcèlement sexuel, il lui avait répondu qu'il allait réfléchir, et que c'est là qu'il avait signalé la situation au principal. « Et quelques jours plus tard, j'étais dans le bureau du principal où il m'expliquait que ce n'était pas mon rôle de faire cela, et j'ai juste marmonné des réponses pour sortir de là au plus vite parce que j'étais vraiment très gênée et au bord des larmes. » Avant que ma fille ne se déconnecte de notre discussion en ligne, elle m'a demandé pourquoi j'avais écrit cette histoire maintenant. je lui ai parlé d'Alexandra, la jeune fille de neuf ans qui a présenté son application au TechCrunch Disrupt hackathon, et a partagé la scène avec le développeur de l'application Titstare. « Bon, je suis désolée que ces conneries soient arrivées ... à toutes les deux », a-t-elle dit. Je le suis aussi.
Mise à jour : Merci pour tous les retours géniaux sur ce message ! Pour ceux qui se demandent pourquoi j'ai choisi de publier sur le blog USENIX — plutôt que sur une autre publication technique ou mon site personnel — c'est parce que les membres de USENIX et la communauté travaillent ensemble depuis longtemps à augmenter la diversité dans l'IT et soutenir les femmes dans la technologie. Beaucoup d'entre vous ont suggéré qu'une action immédiate était nécessaire pour résoudre ce problème. Je suis d'accord et c'est pour cela que je travaille avec USENIX sur leur initiative « Women in Advanced Computing » (WiAC) au travers du Sommet WiAC et de la page Facebook WiAC, ainsi que par d'autres actions dans la communauté. J'espère que vous nous rejoindrez dans ces actions

** Attention
(référence à la violence et au viol)

Cher monsieur,
Je ne vous écris pas pour me plaindre de votre choix de langage de programmation (Visual Basic ? Sérieusement ??) ou du A que ma fille a reçu dans votre cours. Et, en fait, ma fille n'a pas de plainte spéficique vous concernant en tant que professeur. Moi, d'un autre coté, j'ai beaucoup à dire sur vous.
Pour commencer, un peu d'histoire. Je travaille dans le journalisme technologique depuis que ma fille était encore en couches, et elle a eu accès à des ordinateurs toute sa vie. À l'âge avancé de 11 ans, ma fille a participé à la critique de son premier livre technique Hackerteen. Elle a été beta-testeuse (et trouveuse de bug) pour Ubuntu (la version Jaunty Jackalop) et également utilisatrice de Linux Mint. Plutôt que demander une voiture pour son 16ème anniverse, ma fille a demandé un MacBook Pro.. (Je sais, je sais ... les enfants de nos jours.)
Ma fille m'a accompagné à la DrupalCon de Denver pendant le « spring break », participé à l'exposition à OSCON 2012, et même participé et m'a regardé modérer un panel à la première conférence Women in Advanced Computing (WiAC '12) à l'USENIC Federated Conferences Week. Grâce à ma carrière, la liste d'amis Facebook de ma fille inclut des organisteurs de conférences Linux, un développeur ARM et contributeur au noyau Linux, des défenseurs de l'open source et d'autres journalistes technologiques. Ma fille est brillante, assurée, indépendante, férue de technologie et sans peur. En fait, elle est sortie diplômée du lycée en mai dernier — avec deux ans d'avance — et suit maintenant des cours dans un lycée en Inde pour son « année sabbatique » avant d'entrer à l'université .
Alors quel est le problème ?
Pendant le premier semestre de son année de première/terminale, elle a pris son premier cours de programmation. Elle savait que j'allais être ravie mais elle l'a fait quand même.
Quand ma fille est rentrée de sa première journée du semestre, je lui ai demandé comment s'était passé le cours. « Eh bien, je suis la seule fille de la classe », a-t-elle répondu. Heureusement, cela ne l'ennuyait pas, elle prenait même plaisir à plaisanter avec les garçons du cours. Ma fille m'a dit que vous l'aviez remarqué et vous lui aviez présenté vos excuses parce qu'elle était la seule fille du cours. Et quand les cours ont commencé (Visual Basic ? Sérieusement ??), elle a très bien réussi les exercices. Après avoir fini, elle aidait ses camarades qui étaient en retard ou avaient du mal.
Durant les quelques semaines suivantes, la situation s'est dégradée. Pendant que je participais à SC'12 à Salt Lake City en novembre dernier, ma fille m'a envoyé un mail pour me dire que les garçons de sa classe la harcelaient. « Ils me disaient d'aller à la cuisine et de leur faire des sandwichs ». C'était un douloureux rappel des hommes garçons anonymes qui avaient laissé des commentaires sur un post de blog du Linux Pro Magazine que j'avais écrit il y a quelques années, disant exactement la même chose.
Le post du 8 septembre 2010, Inequality, Choices, and Hitting a Wall examinait les discriminations illégales liées au genre dans la technologie. Le lendemain, les commentaires ont commencé à apparaitre. Bien sûr, les remarques sur les sandwichs étaient faciles à ignorer, mais en quelques minutes, le nombre et l'intensité des commentaires ont augmenté. Et ensuite, les menaces violentes ont commencées : « L'auteure de cet article est une salope pleurnicharde et aurait besoin d'une bonne correction pour la remettre à sa place ». Dix minutes plus tard, les menaces de viol ont démarré et j'ai bloqué les commentaires sur tout le site. Alors, les emails ont commencé ....
Donc, vous voyez, j'étais bien trop familière avec ce que ma fille traversait, mais je n'étais pas préparée au fait que le harcèlement commencerait au lycée, dans son cours de programmation.
J'ai demandé des conseils à des amies — développeuses — et discuté avec ma fille de comment gérer la situation en cours. Je lui ai suggéré de vous en parler. J'ai proposé de venir vous parler. J'ai proposé de venir en cours pour parler. J'ai proposé d'envoyer un ami, peut-être un développeur bien connu de la région, de venir parler à votre classe. Finalement, ma fille a décidé de supporter la situation, finir le cours et éviter ses camarades. J'ai horreur de penser à ce que des jeunes filles moins assurées auraient fait dans la même situation.
Ma fille ne souhaite pas prendre d'autre cours de programmation, et honnêtement, qui peut la blâmer.
Pendant toute sa vie, j'ai encouragé ma fille à explorer la programmation informatique. Je lui ai parlé des super projets, de l'incroyable potentiel de carrière, des bourses et des programmes pour aider les jeunes filles et les femmes a se lancer, les gens merveilleux avec qui elle pourrait travailler et la demande de diversité dans l'IT. Elle m'a accompagnée dans des conférences techniques et je l'ai présentée à certains des plus brillants, plus inspirants et encourageants hommes et femmes que j'aie jamais rencontrés.
Malheureusement, vous avez seulement une chance de faire une première impression, et vous, monsieur, avez créé une horrible impression pour les jeunes filles dans la programmation.
N'avez-vous pas vu son enthousiasme se transformer en nuage noir pendant le semestre ? N'avez-vous pas remarqué qu'elle avait arrêté de rire et d'aider ses camarades et finissait rapidement ses exercices avant de plonger le nez dans un livre ? Que faisiez-vous exactement pendant que vous étiez censé superviser la classe et former nos futurs développeurs ?
Je ne suis pas professeur, alors excusez-moi si je sors de mon rôle quand j'en viens à vous dire comment faire votre travail. Mais je suis une mère, et j'ai passé des années à encourager des jeunes filles et des femmes dans l'IT, donc peut-être que mon point de vue vous aidera. Après tout, vous ne vouliez pas créer un environnement pour futurs « brogrammers » ?

Voici sept suggestions pour enseigner la programmation au lycée :
  1. Recrutez des étudiants pour suivre votre cours. Pourquoi ma fille était la seule fille de votre cours ? D'après elle, elle avait pris ce cours seulement parce que je l'avais encouragée. Elle n'aurait rien su de ce cours de programmation dans le cas contraire. (J'ajoute ceci à la page des "victoires parentales" dans son livre de bébé.) Avez-vous pensé à afficher des annonces dans l'école pour faire connaitre votre cours ? Avez-vous demandé aux conseillers d'orientations d'en parler aux enfants quand ils préparent leurs semestres ? Avez-vous parlé aux autres cours, clubs ou aux autres enseignants pour leur expliquer pourquoi la programmation est passionnante et à quel point elle fait partie de nos vies quotidiennes ? Avez-vous demandé aux étudiants journalistes d'écrire un sujet sur les stupéfiantes opportunités de carrières pour les développeurs ou les projets amusants qu'ils pourraient faire ? Avez-vous demandé à vos étudiants actuels de faire passer le mot et de dire à leur amis d'essayer votre cours ?
  2. Donnez le ton. Le premier jour de cours, parlez du faible nombre de femmes et du manque de diversité dans l'IT, de pourquoi c'est un problème, et de comment les étudiants peuvent aider à augmenter la diversité dans la programmation. Parlez aux étudiants du syndrôme de l'imposteur et de comment aider leurs camarades à le dépasser. Créez un un environnement ouvert, amical, encourageant à apprendre dès le premier jour. Je pensais que c'était une évidence, mais manifestement, ce n'est pas le cas.
  3. Esquissez, expliquez et appliquez une politique anti-harcèlement.
  4. Ne soyez pas ennuyeux et dépassé. Visual Basic? Sérieusement ?? Oui, je sais que j'ai dit que je n'écrirais pas de plainte sur votre choix de langage de programmation, pourtant je me gratte toujours la tête sur celui-ci. La raison qui me fait mentionner ce choix est que cela n'aide pas à faire une bonne première impression aux nouveaux développeurs. Je n'ai aucune idée de ce que mon ado a appris dans votre cours parce qu'elle n'était pas excitée à ce sujet. Sans toucher au minuscule budget de votre cours, vous pouvez proposer tout un éventail d'enseignement avec des applications dans le monde réel. Avec des ressources comme Codecademy, par exemple, les étudiants peuvent essayer plusieurs langages de programmation ou se concentrer sur celui qu'ils trouvent intéressant. Avez-vous pensé à montrer aux enfants comment développer une application pour téléphone ? Programmer une Raspberry Pi ? Créer un jeu informatique ? Construire un site web ? Mon dieu, mec — comment avez-vous même été capable de rendre la programmation ennuyeuse ?
  5. Faites attention. Je ne sais pas ce que vous faisiez pendant les cours, mais vous ne faisiez pas attention, autrement vous auriez remarqué que ma fille était isolée et harcelée. Vous pensez que les filles vont venir vous dire qu'elles sont harcelées ? Eh bien, ne comptez pas dessus. À la place, elles vont s'éloigner, déprimer ou abandonner complètement, exactement comme dans les carrières IT. Vous savez ce qui arrive quand une femme parle tout haut d'insultes ou signale un harcelement ? Un retour de flamme, et c'est moche. Dans le meilleur des cas, elle sera rejetée par des camarades de classes ou des collègues. Et, avec un peu de chance, elle ne lira pas les commentaires en ligne ... jamais. Mais cela peut devenir bien pire, avec des mails vulgaires, des appels téléphoniques, l'adresse de la maison mise en ligne et des menaces de violence. Tristement, ce n'est pas rare. Cela arrive en permanence, depuis le lycée jusqu'à dans nos carrières. Vous ne me croyez pas ? C'est parce vous ne faites pas attention.
  6. Vérifiez. Parlez à vos étudiants en privé pour voir comment le cours se passe pour eux.. Parlez aux autres enseignants ou aux conseillers d'éducation. Si vous aviez parlé à la conseillère de ma fille, par exemple, vous auriez su comment ce cours se passait. La conseillère travaillait en étroite collaboration avec ma fille pour l'aider à être diplômée en avance, et elle n'aurait eu aucun problème à avoir une réponse honnête sur sa désagréable expérience dans votre cours de « brogramming ». Vous attendiez-vous à ce que je vous appelle ? Croyez-moi, j'aurai aimé, mais je respectais également la demande de ma fille de la laisser gérer la situation. Et regardez le point 5. Si je vous avais dit ce qu'il se passait en cours pour ma fille, sa situation n'aurait pas été améliorée, et pourrait même avoir empiré.
  7. Enquêtez. Et à la fin du semestre, faites un sondage. Permettez aux étudiants de répondre anonymement en ligne à des questions sur l'équipement de la salle, vos méthodes d'enseignement et leur expérience avec les autres étudiants. Autoriser l'anonymat vous aidera à avoir des réponses honnêtes et avec un peu de chance, vous pourrez améliorer vos cours de programmation pour le prochain groupe d'étudiants.
Eh, vous n'avez pas à me dire à quel point votre métier est difficile ou à quel point vous êtes sous-payé et stressé comme professeur de lycée. Je suis une mère célibataire qui travaille dans les publications techniques — croyez-moi, je le sais. J'aime penser que ce que je fais est important, mais ce que les enseignants font a le potentiel pour changer le monde. Aucun article que j'ai écrit ne le fera, mais la fille que j'élève le pourrait.
J'ai passé 16 ans à élever une fille qui avait tous les outils et les encouragements dont elle avait besoin pour choisir de faire carrière dans la programmation informatique. En un court semestre, vous et ses camarades de classes avez défait toutes mes années d'encouragement.
J'ai toujours dit à ma fille que le lycée n'était pas la vraie vie. Malheureusement, votre cours de développement lui a prouvé le contraire. En un semestre, ma fille a appris pourquoi il y a si peu de femmes dans l'IT, et tous les encouragements que je pourrais lui faire ne changeront pas ça.